Assis sur la chaise de sa cellule, Morgan attendait. Du bout des ongles, il tapotait machinalement la table dans un geste répétitif alors qu'il s'agitait, tournant régulière la tête d'un côté ou de l'autre en soupirant de lassitude. Morgan n'était pas quelqu'un de particulièrement impatient mais il n'aimait pas vraiment attendre trop longtemps non plus.
Il s'ennuyait. Cela faisait une bonne demi-heure qu'on l'avait conduit dans cette pièce sans meuble, hormis cette chaise et cette table. Et personne ne daignait se soucier de lui. Oh ! Il se fichait royalement qu'on prenne soin de lui ou non. Il n'avait pas besoin qu'on le bichonne, de toute façon. Néanmoins, être seul à ne rien à faire s'avérait barbant à la longue et il espérait que quelqu'un vienne le voir pour qu'il puisse s'occuper un peu.
D'ailleurs, Marie aurait déjà dû être là. L'heure à laquelle elle venait était passé depuis un moment et la jeune femme ne venait jamais en retard. Ou du moins très rarement et de loin pas aussi longtemps. Avait-elle un empêchement ? Le directeur de l'asile la retenait-il dans son bureau pour une raison de son cru ? Pas impossible
Morgan soupira une nouvelle fois et cessa de faire taper ses ongles sur la table. A la place, il y posa ses pieds en croisant les jambes et glissa ses mains derrière la nuque. Peut-être devrait-il faire une sieste pour passer le temps ? Nonchalamment, il se fit basculer d'avant en arrière en sifflotant doucement. Il s'agissait d'une occupation comme une autre, pas vrai ? Si toutefois, on pouvait parler d'occupation.
L'aire qu'il chantonnait ne ressemblait à rien et n'était qu'une succession de fausses notes dissonantes qui agressaient douloureusement les oreilles. Oh ! Ne croyez pas qu'il ne sache pas chanter ou siffler juste. Morgan en avait la capacité. Cependant, il trouvait plus amusant de faire le contraire. Rien que pour exaspérer son entourage, cela valait le détour à ses yeux ! Vous me direz : mais il est seul. Dans la pièce, effectivement, Morgan est seul. Mais les caméras accrochées aux coins des murs trahissaient l'observation constante que les patients de Santa Rosa subissaient. Morgan offrait son chant pour les gens charger de visionner chaque jour les images que les appareils vidéo leur transmettaient.
Un grincement soudain. La porte qui s'ouvre. Morgan retira ses pieds de la table avec souplesse pour accueillir celle qu'il croyait venir. Mais quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il vit non pas l'habituelle jolie tête blonde mais un homme assez corpulent d'une trentaine d'année... et roux. Morgan eut comme un blocage. Il avait stopper son mouvement en pleine course et demeura dans cette position. Comme si on avait appuyé sur le bouton pause. Il avait une main posée à plat sur la table alors que l'autre restait en suspension juste à côté. Ses pieds demeuraient en apesanteur à quelques centimètres du sol, le frôlant même. Quant à son visage, il restait figé sur une expression de stupeur et contrariée, pour le moins sombre et accentuée par ses sourcils froncés.
- Bonjour, fit l'homme d'un voix mielleuse.
Le ton employé déplut aussitôt à Morgan qui ne bougea pas pour autant, gardant toujours sa position initiale. Il suivit du regard le nouveau venu qui s'avança pour s'installer face à lui, un stylo et un calepin en main.
- Comment vous sentez-vous ce matin, Mr Carlton, l'interrogea-t-il toujours de ce ton qu'on attribuait à un enfant.
- Terrible... répondit machinalement Morgan, toujours immobile et fixant le médecin. Où... Où est le docteur Wildhorse ? Je veux que mon docteur revienne...
Le sociopathe s'anima à nouveau, agitant un peu les mains pour souligner ses propos avant de reposer ses bras sur l'unique meuble de la pièce. Le médecin, quant à lui, se contenta de tourner quelques feuilles avant de répondre.
- Le docteur... Wildhorse n'est plus en charge de votre cas pour la semaine.
- Elle est partie ?
- Oui...
Morgan eut une légère moue enfantine alors qu'il se carrait un peu mieux sur sa chaise, semblant simplement déçu de l'absence de son psychiatre attitré mais sans vraiment s'en formaliser. Il avait noté également la réticence de son vis-à-vis. Sans doute, avait-il un grief contre Marie. Ça n'était pas impossible. En vérité, le contraire aurait été surprenant quand on sait comment sont les gens...
- Mon nom est le docteur Newton, poursuivit l'intrus. Je suis chargé de prendre la relève du docteur Wildhorse.
- J'aurais pensé qu'on m'aurait confié au docteur Hawkins. Il était mon psychiatre avant Wildhorse, répliqua Morgan avec une nouvelle petite moue.
- Le directeur Jenkins a souhaité tester une expérience avec vous et je suis spécialisé dans ce genre de médecine.
Il croisa les bras d'un air amusé alors qu'il fixait le docteur Newton en retenant un petit sourire en coin. Cela ne présageait rien de bon pour celui qui avait attiré l'antipathie de Morgan sur lui.
- Une expérience ? De quel genre ?
- L'hypnose.
Morgan haussa un sourcil, semblant dubitatif et très peu convaincu. Il paraissait même se demander si le médecin avait toute sa tête. Il garda le silence, attendant sans doute plus précisions. Précisions qui ne tardèrent pas à venir.
- Lorsque les gens sont hypnotisée, ils se livrent plus facilement et arrivent mieux à être en accord avec leur moi intérieur. Et ainsi, ils parviennent à se libérer de leurs peurs ou de leur préoccupation. Ils peuvent même voir leurs désirs inconscients et ainsi trouver un moyen d'être en accord avec eux. Je peux vous proposer cette solution. Bien sûr, vous êtes libre de refuser.
- Bien sûr... fit ironiquement Morgan. Et bien, pourquoi pas. Ça a l'air amusant.